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Le Canard Libéré

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« Il faut recentrer la coopération entre les Africains et leurs partenaires sur des défis communs »

INTERVIEZ DE Me JJACQUES JONATHAN NYEMB

Avocat de profession, le Camerounais Jacques Jonathan Nyemb préside, depuis juin 2022, le Conseil pour le suivi des recommandations du sommet Afrique-France. Il plaide pour une refondation des relations entre l’Afrique et l’Europe.

Le 8 octobre 2021, l’Élysée organisait à Montpellier le Nouveau sommet Afrique-France, en l’absence des chefs d’État africains, qui n’avaient pas été conviés. Sous la férule de l’historien camerounais Achille Mbembe, chargé par le président Emmanuel Macron d’élaborer des propositions, le sommet avait pour ambition de « réinventer la relation entre Paris et les capitales africaines », en donnant la part belle aux sociétés civiles et à la diaspora.

L’avocat d’affaires Jacques Jonathan Nyemb avait été l’un des jeunes participants aux discussions sur la coopération entre la France et l’Afrique. Membre fondateur de l’African Business Lawyers’ Club et de OSER L’Afrique, il est également le président du Think Do Tank The Okwelians, qu’il a cofondé au Cameroun en 2020. À la tête du Conseil pour le suivi des recommandations du Nouveau sommet Afrique-France (CSRN), une instance chargée de veiller au respect des engagements pris, Jacques Jonathan Nyemb mesure le chemin parcouru trois ans après la rencontre. Entretien.  

Jeune Afrique : Vous suivez et veillez à la mise en œuvre des engagements du Nouveau sommet Afrique-France. Trois ans après, où en est-on ?

Jacques Jonathan Nyemb : Les mutations actuellement à l’œuvre à travers le monde imposent une redéfinition des cartes dans la géopolitique mondiale, ce qui place plus que jamais l’Afrique au cœur des enjeux d’aujourd’hui et de demain. Face à un tel basculement, il est capital que l’Afrique redevienne son centre propre et se pense d’elle-même, par elle-même et pour elle-même. Un tel changement de paradigme oblige inexorablement à construire de nouveaux partenariats durables entre les pays africains et leurs partenaires traditionnels ou nouveaux, y compris l’Europe, et particulièrement la France.

[Le Cameroun est en pole position pour tirer le meilleur avantage de cette nouvelle donne et se donner les moyens, désormais, de créer durablement sur le plan local de la valeur pour tous et toutes.]

La création en juillet 2022 du Conseil pour le suivi des recommandations du Nouveau sommet Afrique France, plateforme inédite d’échanges, de formation, de plaidoyer et d’influence entre les sociétés civiles en Afrique et en Europe, se fonde sur la conviction qu’une nouvelle alliance entre les territoires, les peuples et les cultures d’Afrique et d’Europe contribuerait à accélérer la transition attendue vers une nouvelle ère plus participative, plus collaborative et plus solidaire dans le monde. Les jeunesses africaines sont conscientes du fait que le monde en construction appelle une diplomatie nouvelle, davantage participative et publique, au sein de laquelle les sociétés civiles ont toute leur place.

Depuis la mise en place du Conseil, qu’avez-vous fait concrètement pour renforcer les liens entre la France et le continent ?

Sortir des logiques d’assistanat ou de main tendue impose de recentrer la coopération autour des défis communs entre les pays et les continents. Les concertations menées par le Conseil en Afrique et en Europe ont permis d’en identifier trois principaux : la participation citoyenne, l’innovation verte et l’interculturalité. Ainsi, la visite d’Emmanuel Macron au Cameroun en juillet 2022, à l’invitation de Paul Biya, aura été une occasion précieuse d’inscrire ces enjeux au coeur de l’agenda de coopération entre le Cameroun et la France.

En outre, contribuer à bâtir un partenariat gagnant impose de nouvelles formes de dialogue, de collaboration et de coopération, plaçant la co-construction au coeur de la démarche. À la suite du Nouveau sommet Afrique-France de Montpellier, la première ambition du Conseil aura été d’élargir le projet aux sociétés civiles françaises et européennes, ainsi qu’aux décideurs publics africains. Organisé à Yaoundé en décembre 2022, le Forum Our Future aura été un temps fort en la matière, puisqu’il a rassemblé plus de 1 500 jeunes décideurs privés et publics, européens et africains, autour des enjeux de la construction d’un monde plus durable.

Qu'elles sont les retombées de votre mobilisation pour le Cameroun ?

En matière de participation citoyenne, les actions menées par le Conseil dans le cadre des projets Actions citoyennes et Kurukan Fugaont notamment permis, en décembre 2022, la signature d’un mémorandum d’entente entre les autorités camerounaises et françaises sur les questions de volontariat, ce, en vue de favoriser un volontariat de réciprocité et surtout un volontariat « vert ». Cela a d’ailleurs débouché sur un programme de volontariat international ambitieux annoncé à l’issue du One Forest Summit qui s’est déroulé au Gabon en mai 2023.

En en ce qui concerne l’’innovation verte, le Conseil déploie, depuis l’année dernière, autour d’un écosystème de près de 13 000 acteurs, un ambitieux programme de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des sociétés civiles camerounaise et française sur la transition écologique ; et ce, en partenariat avec la Coopération française, ainsi que les autorités camerounaises (ministère de la Jeunesse et de l’Éducation civique, ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et du Développement durable, ministère de la Décentralisation et du Développement local, Communes et villes unies du Cameroun, Association des régions du Cameroun, Réseau des chefs traditionnels d’Afrique, Conseil national de la jeunesse du Cameroun, etc.) Il a permis, à ce jour, de sensibiliser près de 158 000personnes sur les enjeux de la transition écologique, d’en former près de 1 500 autres, de créer une trentaine d’emplois directs et d’accompagner une dizaine d’initiatives en la matière.

[Doté de nombreuses ressources naturelles et humaines et situé en plein cœur du bassin du Congo, considéré comme le poumon vert de la planète, le Cameroun fait figure de « géant endormi », dont le potentiel reste encore sous-exploité et tarde à se réaliser.]

Au terme de ce programme, en juin 2025, verra le jour au Cameroun un Institut Afrique-Europe sur l’innovation verte, positionnant ainsi le pays comme l’un des pôles de référence mondiaux en matière de recherche-action, formation et accompagnement entrepreneurial sur les questions d’innovation verte. Au sein de cet Institut, savoirs endogènes et innovations technologiques se croiseront pour accélérer la transition écologique à travers le monde. En matière d’interculturalité, le Conseil peut se féliciter pour sa contribution à la mise sur pied de la commission mémoire sur le rôle et l’implication de la France dans la répression des mouvements indépendantistes camerounais. Les résultats des travaux sont attendus pour la fin de cette année.

Le Président de la République, Paul Biya, a été reçu en audience le26 juillet dernier par son homologue français, Emmanuel Macron…

La présence très remarquée du chef de l’État camerounais à Paris lors des festivités marquant l’ouverture des Jeux olympiques sonne comme la confirmation de la solidité des relations entre le Cameroun et la France et du rôle central que pourrait jouer Yaoundé dans la nouvelle donne géopolitique mondiale. Situé en plein cœur du bassin du Congo, poumon vert de la planète, le pays fera davantage entendre sa voix lors des prochaines négociations internationales sur le climat, le commerce ou encore la santé. Nous entrevoyons les prémices d’une doctrine diplomatique camerounaise réinventée : une diplomatie culturelle et sportive au service de la transformation économique de notre pays.

Quel regard portez-vous sur la relation entre la France et l’Afrique ?

Le monde change et la recomposition des cartes actuellement à l’œuvre au niveau géopolitique ouvre des perspectives non pas uniquement politiques ou sociales, mais aussi et surtout économiques à l’Afrique. Le recalibrage par les puissances mondiales de leurs politiques de coopération, y compris sur le plan économique, est un indicateur patent. Le Cameroun est en pole position pour tirer le meilleur avantage de cette nouvelle donne et se donner les moyens, désormais, de créer durablement sur le plan local de la valeur pour tous et toutes.

[Au terme de ce programme, en juin 2025, verra le jour au Cameroun un Institut Afrique-Europe sur l’innovation verte, positionnant ainsi le pays comme l’un des pôles de référence mondiaux en matière de recherche-action, formation et accompagnement entrepreneurial sur les questions d’innovation verte.]

Cela supposera bien évidemment aussi des réformes politiques et sociales ambitieuses pour restaurer le dialogue, la confiance et, in fine, l’harmonie au sein de toutes les couches de la population et dans tout le pays, voire au-delà, auprès de la diaspora à travers le monde. L’ambition doit être ni plus ni moins de rivaliser avec les tigres et dragons asiatiques et de devenir ce lion africain qui rugit grâce à la percée de ses champions nationaux dans tous les secteurs clés de l’économie camerounaise, africaine et mondiale.

Quels sont les principaux axes de la réforme du dialogue public-privé au Cameroun et comment contribuent-ils à améliorer le climat des affaires ?

La réforme du dialogue public-privé est la priorité actuelle du Cameroun, afin de faire émerger un cadre inclusif, concerté et consensuel de dialogue entre l’État et la société civile, en particulier le secteur privé. Davantage de jeunes hauts fonctionnaires devront également être plus visibles au sein des entreprises privées et des jeunes issus du secteur privé devront être plus visibles au sein de l’appareil d’État. Il ne doit s’agir ni plus ni moins d’une véritable « révolution » qui implique de changer la perception, par le décideur public, de l’entreprise et du chef d’entreprise, mais aussi celle, par le décideur privé, du rôle et du pouvoir de l’État.

Aussi, une amélioration significative du climat des affaires est attendue. Elle passera par une réforme de la justice, une digitalisation accrue de l’administration publique, mais aussi une meilleure gouvernance des entreprises privées. De même, des efforts sont attendus sur la qualité de la dépense publique et en particulier de l’investissement public, notamment dans le secteur des infrastructures (énergie, transport, numérique). Par ailleurs, investir dans le futur, même en temps de crise, c’est investir dans l’éducation et la culture. Le défi de l’employabilité des jeunes au Cameroun – qui reste la priorité des priorités de notre temps – ne peut être remporté que par un investissement massif du secteur public, mais aussi du secteur privé dans les contenus éducatifs et culturels.

[La présence très remarquée du chef de l’État camerounais à Paris lors des festivités marquant l’ouverture des Jeux olympiques sonne comme la confirmation de la solidité des relations entre le Cameroun et la France et du rôle central que pourrait jouer Yaoundé dans la nouvelle donne géopolitique mondiale.]

Enfin, il est désormais urgent de structurer davantage la finance locale afin de créer les circuits, instruments et acteurs susceptibles de mobiliser les liquidités bancaires, l’assurance-retraite, ou encore les dépôts et consignations au service de l’État et des entreprises. Mettre la finance au service de l’économie réelle supposera aussi de réorienter l’offre de financement existante davantage au profit des agriculteurs, des PME et TPE, dont le financement oeuvrera à une meilleure formalisation, modernisation et, à terme, à la consolidation de notre tissu économique.

Comment va le Cameroun ?

Notre pays connaît des défis sécuritaires, sanitaires, alimentaires, sociaux ou encore climatiques sans précédent. La guerre en Ukraine a fortement affecté l’économie camerounaise ; ce qui a créé des tensions inflationnistes importantes. L’indisponibilité ou le surenchérissement du prix de certains produits de première nécessité créent des tensions budgétaires considérables dans la trésorerie de l’État, mais aussi des entreprises ; éprouvant une fois de plus la résilience d’une économie camerounaise d’ores et déjà confrontée à une croissance faible, un taux de sous-emploi préoccupant, et surtout une pauvreté extrême qui touche encore près du quart de la population.

La question du changement de cap, notamment économique, au Cameroun est plus que jamais au centre de l’attention de tous les observateurs. Doté de nombreuses ressources naturelles et humaines et situé en plein cœur du bassin du Congo, considéré comme le poumon vert de la planète, le Cameroun fait figure de « géant endormi », dont le potentiel reste encore sous-exploité et tarde à se réaliser. Les difficultés économiques actuelles pourraient aussi être l’occasion de déployer un plan de relance ambitieux susceptible d’accélérer la transformation structurelle et durable de l’économie camerounaise et du pays en général.

Mathieu Nathanaël NJOG

Article publié dans le journal L'Essentiel du Cameroun

Article publié dans le journal Le Quotidien

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